Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Fumet de lectures
1 octobre 2015

Le voyant Jérome Garcin

Le voyant

 Jérome Garcin

 Editions Gallimard , 2015-09-04

Œdipe ne commence à voir que quand il est aveugle, Jean Cocteau

 Je ne vous ai pas dit que j’avais vos yeux. J’ai dit que j’en ai d’autres

 Jacques Lusseyran

 

Ces deux phrases mises en exergue par Jérôme Garcin relient  la tragédie antique évoquée par Cocteau à la tragédie intime vécue par Jacques Lusseyran, tragédie de la cécité survenue à l’âge de huit ans, état dont il fera un « atout », une force formidable dans l’époque ô combien tragique dans laquelle il vivra.

 « de son handicap, il fit un privilège » écrit élégamment Garcin à la page 14.  De cet homme qu’il aurait tant aimé « voir » (mais il est mort le 27 juillet 1971 sur une route de Loire-Atlantique âgé de 47 ans) l’auteur dresse un « tombeau » à la mesure de l’héroïsme de son modèle.

Jeune homme éveillé à la beauté de la nature dan la maison grand-maternelle de Juvardeil, il  « commence sa vie par le bonheur »

Sa cécité se déclare à huit ans rapide et irrémédiable, mais le jeune garçon  déclare :

« j’ai su très tôt…..que la cécité me protégerait contre une grave misère : celle d’avoir à vivre avec les égoïstes et les sots. Car seuls venaient à moi ceux qui étaient capables de générosité et de compréhension…..ils m’aidaient à vivre comme si j’avais eu mes yeux, à courir, à grimper, à conduire une barque et parfois à chiper des pommes. Et moi, à leur plus grande surprise et à la mienne souvent, je leur apprenais à mieux voir »

Ses parents l’éduquent, l’emmènent au concert , à la comédie française, il s’initie au braille et remportent les meilleures notes à l’école puis au Lycée Louis le Grand.

Germanophile, il écoute avec horreur les discours d’Hitler …et ce qu’il ressent le pousse à s’engager , il sera le leader charismatique des 47 « volontaires de la liberté », (ils seront 300en 42) lycéens comme lui  qui se sont choisis comme patron leur prof d’histoire qui leur répète : « Messieurs, je vous demande de m’écouter, pas de m’obéir. Ce pays va crever, si tout le monde obéit »

 Leurs faits d’armes : passer des messages parfois des mitraillettes, fabriquer des faux papiers, aller chercher des aviateurs, les exfiltrer…

Khagneux en 42, il rencontre en son professeur Jean Guehénno un maître et un alter ego,un décret de 42 l’écarte des fonctions administratives et professorales : il ne peut passer le concours espéré !

Il devient directeur du journal clandestin « Défense de la France «  et signe sous le nom de Vindex des articles lyriques, il y côtoie Jacques Oudin , Geneviève De Gaulle…

Le 20 juillet 43, la gestapo l’arrête, incarcéré à Fresnes puis déporté à Buchenwald, il porte le matricule 41978.

Il faut lire ce livre pour « voir » comme Jacques Lusseyran survit pendant 15 mois dans cet enfer, comment il s’y forge des amitiés, comment il est sauvé aussi par la solidarité…..comment il vivra cette époque d’après la libération, préparant une licence de philosophie et un doctorat d’état sans pouvoir envisager de carrière dans la fonction publique, ni pouvoir prétendre à l’agrégation…

C’est alors la période où il donne des conférences dans le monde entier, délivrant un savoir littéraire qu’il partage avec passion, il rencontre Albert Camus, André Gide, André Breton, Vercors, Theilard de Chardin et le peintre Jean Hélion.

C’est un homme au charme incroyable, ses trois mariages témoignent de son goût pour les femmes, il peut aussi subir des influences comme celle de Georges Saint-Bonnet, gourou contestable…

 

« Il ne reste pas grand-chose de la vie brève de Jacques Lusseyran. Une trace invisible dans le Block 56 du camp d’extermination de Buchenwald, une tombe aux lettres usées dans le cimetière de Juvardeil. Même le lycée Louis le Grand à oublié ou négligé de donner un nom à une cour ou à une classe, n’a pas posé une plaque sur l’un des ses vieux mirs blonds pour rappeler qu’ici, sous l’Occupation, un résistant aveugle de dix-sept ans fonda et dirigea un réseau d’adolescents , le mouvement des Volontaires de la Liberté » écrit Jérôme Garcin au terme de son livre hommage dont les derniers mots sont : « mais pour le voir, je dis bien : le voir, je sois baisser les paupières, tirer le rideau sur mes paysages, m’installer dans une petites nuit provisoire, et alors son visage s’éclaire, il parle, il sourit, il paraît plus vivant que les vivants. Et plus étrange, voyez-vous ? est qu’il me regarde. »

 

Anne 

Commentaires
Fumet de lectures
Derniers commentaires
Archives
Visiteurs
Depuis la création 68 309
Newsletter