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Fumet de lectures
8 juillet 2016

L'oeuvre des mers d'Eugéne Nicole

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Ce livre est une vraie somme de souvenirs que l’auteur  fait remonter à la surface de sa mémoire par couches successives.

C’est un livre inclassable : pas vraiment  un roman, pas une vraie  autobiographie non plus même si l’auteur nous parle de lui ; disons une œuvre de souvenirs qui convoque aussi souvent le « nous » que le « je ».  Commencé en 1988, il est constitué de plusieurs livres  écrits séparément,  s’ajoutant les uns aux autres au fil du temps pour former un tout…  

Eugène Nicole est né en 1942 sur  un lieu perdu dans l’Atlantique, sur ces îles de 242 km2 qu’il qualifie lui-même de « crottes de mouche »,  dont on connaît le nom mais pas grand-chose d’autre : Saint-Pierre et Miquelon. Chaque livre  est un morceau de la vie de l’auteur sur « son »  île,  lieu de mémoire, et sur les lieux qui plus tard sont ceux de son exil. Il évoque les siens (ses grands-mères, ses tantes...) et de nombreux personnages hautement pittoresques qui font l’ordinaire et parfois l’exceptionnel des jours et que l’on retrouve pour la plupart dans les différents récits.

C’est aussi un livre marqué par les  lieux qui sont ceux de  l’ancrage de l’enfance : les maisons  tiennent une place de choix, les rues, les cafés dont celui de la grand-mère maternelle, les bateaux assurant les transports et les doris souvent malmenés par les récifs et les tempêtes, la mer omniprésente, les différentes îles : Langlade, l’ile Languette…  la brume qui isole des paysages, les rares mais lumineuses apparitions du soleil qui redonnent à l’île et à ses contours des couleurs d’une netteté éblouissante.. et puis le cinéma-théâtre paroissial : «l’œuvre des Mers » qui donne son titre au livre, où sont projetées les actualités en provenance de la métropole.  

Pour Eugène Nicole le passé est un creuset où il puise selon une chronologie assez fantaisiste qui cependant n’affecte en rien l’équilibre du récit. Il nous fait aborder sur ces bouts de terre et par la magie de ses souvenirs et de son écriture nous fait avec lui devenir insulaires ; l’île et ses habitants nous deviennent familiers et très proches. C’est un livre plein d’émotions fortes (très beaux passages sur la grand-mère paternelle « sa petite grand-mother à lui », puis dans le dernier livre sur le père), d’impressions, de sensations visuelles. Il comporte de mémorables passages sur l’exil de l’auteur en 1956 lorsqu’il doit pour la première fois quitter son île pour intégrer en France un pensionnat où il fait l’expérience de la perte de tous ses repères ; il dit cela en quelques mots plus éloquents que tous les longs développements mais qui ne masquent pas combien cet arrachement fut douloureux pour lui. Ce n’est qu’en arpentant mentalement les lieux perdus qu’il arrive à s’extraire de ce sentiment d’abandon qui est le sien.

Les années parisiennes sont plus légères : l’enfant est devenu adulte et trace son chemin vers l’enseignement universitaire  (aux Etats-Unis) et l’écriture.   On peut dire que l’œuvre des Mers » est un magnifique hommage rendu par E. Nicole  à la terre de l’enfance,  et à ceux qu’il a aimés. C’est aussi un vivant et savoureux témoignage parsemé de touches d’humour sur la vie comme elle se passe sur ce bout de monde un peu à part. C’est un livre qui exige du temps (quelques 930 pages, très denses) mais dont le retentissement se poursuit longtemps car au-delà du récit plein d’originalité, il touche en nous tout ce qui nous relie à notre propre enfance, tout ce qui dans nos jeunes années nous a marqué et nous a fait  devenir ce que nous sommes. C’est en fait une très belle réflexion sur l’apprentissage de la vie.  

Nota :   Eugène Nicole, spécialiste de Proust, dit « qu’il a ses madeleines, il se trouve juste qu’elles ont le goût de la morue » !  

Annie du B

 

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